L'univers du vin est vaste et complexe, avec une diversité impressionnante de pratiques viticoles et de philosophies de production. Parmi les tendances contemporaines les plus discutées, on trouve le vin bio, le vin en biodynamie et les vins naturels.
Bien que ces termes soient souvent utilisés de manière interchangeable, ils reflètent en réalité des approches distinctes. Voyons cela plus en détail.
Le vin biologique, ou vin bio, est produit à partir de raisins cultivés selon les principes de l'agriculture biologique. Cela signifie que les vignobles sont gérés sans l'utilisation de pesticides chimiques de synthèse, d'herbicides et d'engrais artificiels. Les vignerons biologiques privilégient les méthodes naturelles pour fertiliser les sols et protéger les vignes contre les maladies et les parasites.
La viticulture biologique propose une alternative à une agriculture conventionnelle qui a malheureusement souvent recours à de fortes doses de ces produits de synthèse. Les chiffres sont affligeants: alors que la viticulture ne représente que 4% de la surface agricole, elle consomme 25% des produits de synthèse!
Est-ce que les pesticides influencent le goût du vin?
Pour répondre à cette question, Jérôme Douzelet et Gilles-Eric Séralini ont relevé le défi de faire goûter par des dégustateurs professionnels des pesticides et fongicides dans des proportions équivalentes à celles détectées dans certains vins conventionnels.
Exemple parmi d'autres, le fenhexamide, un fongicide produit par Bayer, a été identifié à hauteur de 500 ppm (parties par million) dans un vin conventionnel. À une telle concentration, mille fois plus élevée que la limite admise pour l'eau potable, le profil aromatique du vin est sensiblement modifié, révélant des notes artificielles rappelant des bonbons doux à la fraise, des arômes de caramel et de vanille.
Heureusement, le fenhexamide affiche une faible toxicité et semble ne pas avoir d'impact nocif sur les abeilles. Même si ce pesticide altère le goût d’un vin conventionnel, votre santé n’en souffrira probablement pas.
Pour être certifiée biologique, la viticulture doit respecter un cahier des charges strict, homologué par l'Union Européenne. En résumé, il interdit l'utilisation des produits chimiques de synthèse, oblige le travail du sol afin de favoriser la microflore et encourage la diversité biologique. L'utilisation du cuivre, sous forme de bouillie bordelaise (un mélange de sulfate de cuivre et de chaux), est limitée à 4kg par hectare par an.
L'utilisation d'engrais azotés minéraux est interdite. Pour compenser cette absence d'azote, un élément essentiel à la croissance des plantes, bon nombre de viticulteurs utilisent des tisanes à base d'orties et plantent des légumineuses (pois, haricots, etc.) en bout de rang. Ces plantes sont réputées pour fixer l'azote de l'air et le transférer dans le sol.
Un domaine ne peut pas obtenir la certification bio immédiatement après avoir adopté les pratiques requises. Il faut trois ans avant qu'un domaine ne soit homologué: cette période de conversion est nécessaire pour permettre aux sols de se détoxifier des résidus historiques de produits de synthèse. Cette durée est théorique car certains sols sont tellement pollués qu'ils mettent jusqu'à 12 ans avant d'être totalement exempts de produits de synthèse.
Une fois la conversion réussie, le domaine a le droit d'utiliser le label bio pour identifier les vins produits selon les pratiques de l'agriculture biologique. Le label visible en haut de page est celui de l'Union Européenne, créé en Avant que l'Union Européenne ne définisse ses propres critères, certains pays membres possédaient déjà leurs propres labels biologiques ; parmi ceux-ci, le label AB-Ecocert est probablement le plus connu.
La biodynamie s'appuie sur les principes développée par Rudolf Steiner au début du XXe siècle. Cette méthode vise à promouvoir la santé et la vitalité du vignoble en adoptant une vision holistique et en travaillant en harmonie avec les cycles naturels et cosmiques. Les vignerons biodynamiques utilisent des préparations naturelles, souvent à base de plantes ou de minéraux, pour dynamiser les sols et favoriser la santé de la vigne.
Steiner, bien qu'il n'ait pas eu d'expérience pratique en agriculture, a répondu à l'intérêt des propriétaires terriens pour les idées anthroposophiques et théosophiques qu'il avait développées. Son œuvre "Cours aux Agriculteurs" a été écrite pour proposer une alternative aux méthodes agricoles traditionnelles et chimiques, en mettant l'accent sur une approche plus naturelle et équilibrée.
Dans ses grandes lignes, la biodynamie pousse les principes de l'agriculture biologique encore plus loin. Comme dans l’agriculture biologique, elle rejette l’emploi de produits de synthèse et valorise le travail du sol. Ce qui distingue la biodynamie, c'est l'utilisation de rituels et d'offrandes aux "êtres élémentaux": gnomes, ondines, sylphes et salamandres. L'enfouissement de cornes de vache remplies de bouse (connu sous le nom de préparation 500) et de silice (préparation 501), sont probablement les plus connus.
L'observation prend une place importante dans la biodynamie. Elle repose avant tout sur le regard et identifie formes et couleurs permettant de déterminer l'identité même de tout être vivant. Le cyprès - ascendant - est attiré par le soleil, la gravité attire le saule pleureur - descendant - vers le sol. Ces deux arbres sont opposés et leurs forces identitaires le sont aussi. Ainsi, toujours selon Steiner, un compost à base de cyprès favoriserait le feuillage et le fruit et un compost à base de saule pleureur alimenterait mieux les racines.
Les gestes et actions dans le vignoble suivent un cycle basé sur le mouvement des astres. Toutefois, Steiner lui-même a relativisé l'importance de ces cycles, estimant que les actions menées à des moments jugés inopportuns n'étaient pas irrémédiablement compromises.
Ce calendrier tient compte des phases de la lune et des positions des planètes. Il joue un rôle central dans les décisions de plantation, de traitement et de vendange. Selon les biodynamistes, le cycle lunaire impacte les rythmes naturels de la vie sur Terre. En se synchronisant avec ces cycles, les agriculteurs biodynamiques cherchent à harmoniser leurs activités avec les forces cosmiques pour optimiser la santé et la fertilité de leurs cultures.
Pour faciliter l'interprétation du cycle lunaire, les jours du calendrier sont traduits en jours racine, fleur, feuille et fruit. Une série de tâches sera effectué durant chacun de ces jours. Ce calendrier est aussi suivi à la cave. Par exemple, le vigneron biodynamiste va favoriser le tirage des bouteilles un jour fruit en lune ascendante.
Certains dégustateurs estiment que le jour a aussi son influence sur le goût du vin. Un vin goûterait mieux un jour fruit qu'un jour racine. Une étude effectuée en 2017 relègue cette affirmation au pays des légendes.
La conclusion de cette étude:
Les vins de pinot noir jugés par des professionnels du vin variaient considérablement dans une gamme de caractéristiques. Cependant, le jour où ils ont été dégustés n'a pas influencé ces jugements. Il est concevable que les rapports anecdotiques d'effets sensoriels décrits dans les médias soient dus à des effets attendus plutôt qu'à des différences réelles entre les vins. Les consommateurs qui s’attendent à ce qu’un vin soit plus expressif et aromatique les jours de fruits le perçoivent comme tel par effet d'auto-suggestion.
L'auto-suggestion est un facteur déterminant dans la dégustation des vins et rares sont les dégustateurs capables de passer au-delà du "cerveau mensonger"! Je vous invite (re)lire l'influence du cerveau dans l'article sur la dégustation du vin.
La biodynamie séduit autant les viticulteurs que les amateurs de vin, tout en suscitant de nombreuses interrogations parmi ceux qui s'y intéressent de plus près. Plutôt que d'apporter des réponses claires, la biodynamie soulève souvent des paradoxes intrinsèques à sa nature même, dont nous allons évoquer quelques-uns.
La biodynamie dans le débat écologique:
Bien que l’approche au départ semble alignée avec le rejet du matérialisme et du sur-mécanisme, une lecture plus approfondie révèle un raisonnement incompatibiliste. Steiner croyait que l’homme est central et précède même la nature. Ceci est diamétralement opposé à la vision écologique moderne qui envisage l’homme comme simple composant d’un écosystème complexe qu’il doit préserver.
Usage et exigeances:
Les exigences biodynamiques ne se limitent pas à des considérations écologiques ou agronomiques. Elles nécessitent des actes rituels visant à influencer les forces cosmiques, interprétés par des préparations spécifiques comme des offrandes aux êtres élémentaux dans l'imaginaire de Steiner. Poussant le raisonnement plus loin, on pourrait se demander : pourquoi faire une offrande si un sol est en pleine santé et équilibre? Est-ce que ces rituels et offrandes ne risquent pas de rompre cet équilibre? Cela soulève également la question de l'utilité de l'observation si le vigneron doit suivre des rituels prescrits.
Apparences et réalités
En imposant un regard à la fois symbolique et visuel, la biodynamie véhicule la croyance que l’apparence extérieure des choses traduit leur essence spirituelle. Cependant, le progrès scientifique montre que la réalité est souvent plus complexe que ce que montrent les observations visuelles et les intuitions de surface. Bien que l'observation fasse partie intégrante de la biodynamie, elle se limite souvent à une analyse superficielle, attribuant des qualités intuitives sans tenir compte de la complexité inhérente de la nature. En réalité, la nature requiert une interrogation à l'aide de tous les outils disponibles et une compréhension dépourvue d'interprétation humaine, voire anthroposophique.
La plupart des vignerons biodynamistes que je connais et côtoie ne sont pas nécessairement familiers avec Rudolf Steiner ou ses idées basées sur sa propre mythologie. Leur travail, qui vise à limiter l'intervention humaine dans la nature et à favoriser l'équilibre naturel, semble parfois s'opposer à l'essence même de l'anthroposophie, selon laquelle "la nature est le fruit de l'humain".
En cherchant à aller au-delà du biologique, les vignerons biodynamistes de ce siècle semblent s'éloigner des idées philosophiques originales de la biodynamie. Une réelle observation de la nature suggère une liberté de conscience et d'action, tandis que la biodynamie impose souvent un cadre rituel de nature religieuse, en dehors de ce que l'observation pourrait dicter.
Cependant, il est important d'apprécier l'évolution et l'adaptabilité des pratiques biodynamiques. L'observation en 1920 n'était pas ce qu'elle est en 2020. Si les prémisses de recherche de l'équilibre et de préservation du vivant n'ont pas changé en un siècle, les instruments d'observation ont évolué, nos connaissances se sont accrues, nos réflexions se sont affinées, et notre conscience écologique s'est développée.
Aujourd'hui, nous ne sommes plus obligés de nous soumettre à un mythe pour comprendre nos observations. Bien que la biodynamie de 2020 conserve des rituels vieux de seulement un siècle, loin des traditions ancestrales, le vigneron biodynamique éclairé plonge ses racines dans une compréhension beaucoup plus écologique et plus proche de la nature et surtout plus scientifique que celle de 1920.
Bien que l'agriculture biologique évite l'utilisation de produits synthétiques et stimule la biodiversité, elle ne se confond pas avec l'agriculture durable, qui embrasse une vision plus holistique. L'agriculture durable inclut les principes de l'agriculture bio mais va plus loin, intégrant des pratiques de régénération de l'environnement du type permaculture, essentielles pour maintenir la santé des sols et des écosystèmes.
Alors que l'agriculture bio est solidement ancrée dans les pratiques courantes, grâce à des principes faciles à comprendre, un label identifié et des organismes de contrôle rigoureux, l'agriculture durable manque encore de ces éléments structurants. Elle souffre de l'absence d'une définition standard, d'un label universellement reconnu et de suffisamment d'organismes de contrôle expertes pour guider les domaines vers cette transition.
Sans réel point de repère, il est essentiel en tant que distributeur de vins d'examiner les desseins des producteurs et d'évaluer l'alignement de leurs pratiques avec leurs objectifs. Ont-ils une vision à long terme de régénération de l'environnement ou se servent-ils du greenwashing comme outil de marketing ?
Il est crucial non seulement de connaître ces différences mais aussi d'encourager des pratiques durables dans le vignoble. Cela passe par le soutien de domaines engagés et par la promotion d'une agriculture qui protège et restaure notre planète pour les générations futures.
Aujourd'hui, rares sont les domaines largement engagés dans une démarche durable. J'ai le bonheur de représenter Bodegas Bhilar/Etérea Kripan, devenu "off grid" depuis un an, avec des projets de permaculture (agriculture permanente).
La permaculture consiste en la conception consciencieuse et la gestion de systèmes agricoles productifs, caractérisés par la diversité, la stabilité et la résilience des écosystèmes naturels. Dans cette définition, l'équilibre du système est déterminé à travers trois dimensions : diversité, stabilité et résilience, chacune renforçant l'autre.
Alors qu'il n'existe pas de certification officielle, la filière vin accepte que le vin nature est un vin produit avec le minimum d'interventions possibles, tant dans le vignoble que dans la cave. À la différence des vins conventionnels ou même des vins biologiques, les adjuvants œnologiques sont proscrits à la cave. Cette approche met en avant l'idée de laisser la nature faire son œuvre sans interférence humaine excessive.
L'origine du mouvement du vin naturel peut être retracée en France, notamment dans des régions comme le Beaujolais et la Loire. Des vignerons pionniers, tels que Henry Marionnet, Jules Chauvet et Marcel Lapierre, ont commencé à expérimenter des méthodes de vinification sans soufre ajouté et sans produits chimiques, convaincus que ces pratiques pouvaient révéler une expression plus pure du terroir et du fruit.
Les vins naturels sont souvent décrits comme ayant une "âme" ou une "vivacité" distincte. Ils peuvent être plus imprévisibles et afficher une palette aromatique large, allant de notes fruitées pures à des arômes plus rustiques et les risques de déviations aromatiques (odeurs de réductions, goûts de souris, etc.).
Il n'est pas rare de rencontrer des vins naturels légèrement pétillants à l'ouverture ou présentant une légère turbidité due à l'absence de filtration. Ces caractéristiques physiques peuvent déstabiliser les amateurs de vins plus conventionnels, mais elles sont souvent célébrées par les aficionados du naturel comme une preuve d'authenticité et de vitalité.
L'un des débats les plus vifs autour du vin nature concerne les déviations aromatiques. Certaines personnes affirment que ces déviations sont le reflet direct du terroir et des conditions de chaque millésime. Cependant, il est essentiel de faire la distinction entre des particularités aromatiques acceptables et des défauts réels. Une réduction, par exemple, peut être facilement corrigée par une aération en carafe.
Travaillant sans filet qu'est le soufre, le vin risque d'oxygéner prématurément. L'apport d'oxygène est limité au maximum lors de la vinification et de l'élevage du vin, provoquant ainsi la réduction.
D'autres défauts comme la présence de levures nocives ou une acidité volatile excessive altèrent fondamentalement le goût du vin. Ils résultent souvent d'un manque d'hygiène ou de rigueur à la cave, permettant aux mauvaises bactéries et levures de proliférer.
Dans ce cas, il est légitime de se demander où réside le terroir dans ce vin. Devant un vin défectueux, nous sommes loin du principe "d'expression plus pure du terroir et du fruit" cher aux fondateurs de la filière du vin nature. Un vin doit en premier lieu répondre aux critères de qualité que les consommateurs sont en droit d'attendre. Car tout comme le vin bio et le vin biodynamique, le vin nature ne peut être une fin en soi.
L'univers du vin biologique, biodynamique et naturel présente une constellation de pratiques et de philosophies qui défient les méthodes conventionnelles de viticulture et d'œnologie. Le vin bio se distingue par son engagement à exclure les produits chimiques de synthèse, adoptant des techniques comme les tisanes à base de plantes pour enrichir les sols et protéger les vignes.
La biodynamie, quant à elle, approfondit ce concept en intégrant des principes ésotériques et rituels inspirés de l'anthroposophie, cherchant à harmoniser les cycles naturels et cosmiques avec les pratiques viticoles. Cette approche, bien qu'intrigante, suscite des débats sur sa cohérence avec la science moderne et l'écologie.
Enfin, le vin naturel incarne une forme de radicalité œnologique, minimisant les interventions tant dans la vigne que dans la cave pour laisser s'exprimer la pureté du terroir. Toutefois, cette recherche d'authenticité peut parfois compromettre la qualité gustative en raison de déviations aromatiques néfastes.
En définitive, ces différentes approches mettent en lumière la quête constante d'un équilibre entre tradition et innovation, nature et culture, qualité et expérience.