Le vin rosé, ou "le rosé" tout court, ne possède pas de définition satisfaisante malgré de longs débats menés par les instances régulatrices. A y voir de plus près, uniquement la notion de "vin" est clairement définie. Dans la définition de vin, n'apparaît nul part la notion de couleur du vin.
Nous avons beau parler de vin blanc, rouge, rosé, voire orange, cette notion n'est liée qu'à l'aspect visuel du vin, même si ses vins sont élaborés différemment.
Néanmoins, on pourrait distinguer le blanc du rouge par le cycle de vinification. Un vin blanc est obtenu par un pressurage direct, alors que le vin rouge n'est obtenu que suite à un pressurage après un contact plus ou moins long avec les peaux des baies de raisins. C'est ce contact qui donne la couleur - mais aussi le tannin - au vin. Mais qu'en est-il du rosé alors?
Beaucoup pensent que la couleur rosée est obtenu en mélangeant du vin rouge au vin blanc. Il n'en est rien, du moins, pas en Europe. Une seule appellation autorise ce procédé: la Champagne.
Le vin rosé peut être décrit comme le produit issu de la fermentation alcoolique d’un jus de raisin obtenu après la macération pelliculaire préfermentaire maîtrisée de raisins noirs (à jus blanc). La différence avec le vin rouge réside dans le mot préfermentaire. Si le contact entre le jus et les peaux de raisins est prolongé pendant la fermentation, nous obtenons du vin rouge.
La couleur est obtenu par extraction des pigments de la pellicule de raisin par hydratation. L'extraction de la couleur est à ce stade de la vinification plus faible que si l'extraction se fait par l'alcool durant la fermentation. Vu l'engouement pour les rosés à la robe claire, des cépages à pellicule fine sont favorisés, contenant moins de pigments. Le cabernet franc en Loire, le grenache noir dans le Languedoc ou en Provence, le pinot noir en Loire, Bourgogne, voire le Languedoc, ... sont très prisés.
Historiquement, il s'agit probablement des vins les plus anciens qui étaient produits: le contact du mout avec la pellicule étant assez bref ne permettait pas d'obtenir une extraction prononcée de couleurs. Au fil des ans les vins rouges prennent de la couleur mais au 17ième siècle encore, les Anglais utilisaient le mot "claret" pour désigner un vin de Bordeaux, leur premier marché d'importation.
Le professeur Denis Dubourdieu s'exprimait ainsi dans sont Traité d'oenologie, écrit en 1998: "Bien qu'il s'agisse probablement du plus vieux vin de l'histoire, les rosés étaient jusqu'à une époque récente perçus comme des vins fruités, de structure légère et qui se boivent frais […] il n’en reste pas moins vrai qu’ils ne sont pas de grande classe […] on ne leur apporte pas toujours les soins nécessaires […] surtout on leur réserve rarement les meilleures vendanges […] ce type de vinification peut être recommandé pour éviter certains défauts des raisins noirs manquant de maturité, atteints de pourriture, possédant une saveur désagréable […] ou pour obtenir un vin rouge plus concentré."
C'est dire le peu de cas que l'on faisait du rosé... si ce n'est le consommateur qui a progressivement obligé l'oenologue de réviser cette perception et de réaliser des vins fruités et équilibrés, de maîtriser leur couleur et surtout d’être régulier d’un millésime à l’autre.
L'histoire et l'ironie rattrapera professeur Dubourdieu car c'est lui qui introduisa la préfermentation pelliculaire quand il étudia la vinification optimale du sauvignon blanc! D'une pierre il fit deux coups - même si le second n'était pas intentionnel. Non seulement les vins blancs faits de sauvignon amélioraient considérablement mais en plus, le rosé de qualité vit le jour. Le consommateur, lui, est ravi!
Car en effet, si la consommation globale de vin n'a pas évolué depuis 2002, celle du rosé a augmenté de 32% depuis 2002 jusqu'en 2016. Symptomatique, au Domaine La Colombette, le vin rosé est passé de 10% à 50% de la production totale du domaine en moins de 15 ans.
La progression dans certains marchés est réellement significative. Par exemple, en France, 32% des vins tranquilles consommés sont des rosés. Détail marquant, alors que la France est le premier producteur mondial de rosés, elle n'en produit pas assez pour satisfaire la consommation locale. En Belgique, les rosés prennent 19% d'un marché en plein essor.
On remarque néanmoins un marché plus tendu pour les rosés. Les plus grands producteurs limitent leur production, voire sortent de certains segments. De nouveaux pays interviennent, souvent dans le bas de gamme.
Ainsi, il n'est pas rare de rencontrer des rendements obtenus pour la production de rosés en Afrique du Sud de l'ordre de 115 à 200 hectolitres par hectare. Des chiffres énormes. Pour mettre en perspective, un vin de qualité AOP ne dépasse jamais des rendements de 55 à 60 hectolitres par hectare.
Avec la venue de ces nouveaux intervenants, les échanges entre pays s'intensifient. Ainsi, la France, grande productrice et consommatrice (25% du marché mondial) est aussi le plus grand exportateur et le plus grand importateur de rosés. Mais alors qu'elle importe aussi des bas de gamme, elle exporte plutôt des vins rosés haut de gamme.
Qui ne connaît pas les appellations de rosés en France qu'ils soient produits en Provence, Rhône ou Loire? Ces appellations sont en vogue grâce à la production de rosés pâles. Ainsi, le bilan des échanges est nettement positif.
Au final, une consommation en plein essor, une production tendue et un manque de stocks (les producteurs essaient de liquider leur production endéans l'année) nous mettent devant un marché qui supporte mal les chocs climatiques. Une météo 2017 ne favorisant pas une vendange quantitative, la Provence a par exemple perdu 12% de sa production.
La situation était pire encore en 2018 quand la production a baissé de 30%. 2019 a connu une stabilisation dans la production du rosé. Et c'est tant mieux: confinement ou pas, cet été encore, nous aurons soif de rosés !